Enquête : les superaliments le sont-ils vraiment?

Dernière mise à jour : 11 December 2012
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    “Superaliment” : voilà le nouveau mot à la mode lorsque l’on parle d’alimentation ou de santé. Pourtant, il n’en existe aucune définition technique, et les résultats scientifiques démontrant les effets (fussent-ils souvent bénéfiques) de ces aliments sur la santé ne sont pas nécessairement applicables aux régimes alimentaires au quotidien. Un régime reposant sur des aliments variés et nutritifs, incluant de nombreux fruits et légumes, reste le moyen le plus efficace d’assurer l’apport nutritionnel équilibré qui sera bénéfique pour la santé.

    Aux origines du superaliment

    En matière d’alimentation et de santé, le concept de superaliment s’avère très populaire. On ne compte plus dans les médias les reportages sur les aliments ultra-sains, depuis la myrtille et la betterave jusqu’au cacao et au saumon. Ces reportages seraient fondés sur les résultats scientifiques les plus récents, et nous affirment que manger ces aliments donnera à notre corps le coup de fouet nécessaire pour éloigner la maladie et le vieillissement. Mais y a-t-il une once de vérité dans ces reportages?

    L’attention portée actuellement aux superaliments a probablement été stimulée par l’intérêt croissant du public pour l’alimentation et la santé, notamment dans les pays développés1. Si le terme était déjà employé au début du XXè siècle, ce n’est que récemment qu’il s’est popularisé dans le langage courant2. Une simple recherche sur Internet du terme « superaliment » en anglais (« superfood ») aboutit à près de 10 millions de résultats — principalement des blogs de santé et de nutrition, des journaux et magazines en ligne, et des fournisseurs de compléments alimentaires.

    Cependant, malgré l’omniprésence du terme dans les médias, il n’existe aucune définition officielle ou légale d’un superaliment. L’Oxford English Dictionary, par exemple, définit un superaliment comme « un aliment riche en nutriments, considéré comme particulièrement bénéfique en termes de santé et de bien-être », tandis que le dictionnaire Merriam-Webster ne fait aucune référence à la santé et le décrit comme « un aliment hautement nutritif, contenant une grande quantité de vitamines, minéraux, fibres, antioxydants, et/ou phytonutriments »3,4. D’une manière générale, les superaliments sont des aliments — et notamment des fruits et légumes — dont le contenu nutritionnel aurait des effets bénéfiques supérieurs à ceux des autres aliments.

    De quelles preuves dispose-t-on?

    Afin de discerner le vrai du faux, il convient d'étudier attentivement les résultats scientifiques sur lesquelles se fondent les affirmations des médias. Les myrtilles sont l’un des superaliments les plus populaires et les plus connus, et elles ont fréquemment été étudiées par des chercheurs intrigués par leurs effets bénéfiques sur la santé. On a ainsi constaté que les myrtilles ont une teneur élevée en composés antioxydants d’origine végétale, notamment des anthocyanines, qui freinent la croissance des cellules cancéreuses du colon humain et les détruisent5. Les myrtilles contiennent également un autre type d’antioxydants, dont les effets préventifs et réparateurs sur les pertes de mémoire dues au vieillissement ont été démontrés sur des rats6.

    Les antioxydants sont des molécules qui protègent les cellules de notre corps des radicaux libres nuisibles. Ces radicaux libres proviennent de sources telles que la fumée de cigarette et l’alcool, et sont également produits naturellement par le corps au cours du métabolisme. La présence d’un trop grand nombre de radicaux libres dans le corps peut provoquer un stress oxydatif, qui à son tour peut conduire à des dommages cellulaires susceptibles d’aboutir à des maladies liées au vieillissement telles que le cancer, le diabète ou les maladies cardiaques7.

    Parmi les autres fruits dotés du statut de superaliment figurent l’açaï et la grenade. Il a été prouvé que la pulpe de l’açaï possède d’importantes propriétés antioxydantes, même si ses bénéfices sur la santé n’ont pas encore été démontrés chez les humains8,9. Des études sur le jus de grenade donnent à penser que celui-ci fait baisser à court terme la pression sanguine et réduit le stress oxydatif chez les personnes en bonne santé10,11. Ces deux paramètres constituent d’importants facteurs de risque de cardiopathie.

    Tout comme le jus de grenade, la betterave s’est vue décerner le titre de superaliment indiqué pour le cœur. Le nitrate qu’elle contient en grande quantité serait transformé par le corps en oxyde nitrique, qui diminuerait la pression sanguine et la tendance à la coagulation du sang chez les humains12. Le cacao réduirait également les risques de cardiopathie en faisant baisser la pression sanguine et en augmentant l’élasticité des vaisseaux sanguins, probablement grâce à sa teneur élevée en composés connus sous le nom de flavonoïdes13,14. Enfin, le saumon se retrouve, lui aussi, fréquemment cité sur les listes des superaliments. En effet, il existe de plus en plus de preuves que les acides gras oméga-3 présents dans le saumon et dans d’autres poissons gras préviennent les problèmes cardiaques chez les individus présentant un risque cardiovasculaire élevé, et soulagent les douleurs articulaires des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde15–17.

    En y regardant de plus pres

    Les études mentionnées plus haut ne représentent qu’un infime pourcentage de toutes celles concernant les effets des aliments sur la santé. À première vue, elles semblent conforter la théorie de l’existence de certains superaliments : certes, il a été démontré que les nutriments présents dans ces aliments ont des propriétés bénéfiques pour la santé. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que les résultats de ces travaux sont difficilement applicables à des régimes alimentaires réels. En effet, les conditions dans lesquelles les aliments sont étudiés au sein des laboratoires sont souvent très différentes de la façon dont ces aliments sont normalement consommés par les individus au quotidien.

    L’une des principales caractéristiques de la recherche dans ce domaine est le taux élevé de nutriments généralement utilisés. Dans le contexte d’un régime alimentaire normal, ces teneurs ne sont pas réalistes. De plus, les effets physiologiques d’un grand nombre de ces aliments sont souvent des effets à court terme12,13, ce qui signifie qu’il faudrait les consommer souvent pour en tirer les bénéfices promis en matière de santé. Cela pourrait s’avérer contre-productif, notamment pour certains aliments : une consommation fréquente de cacao sous forme de chocolat, par exemple, doperait l’absorption non seulement des flavonoïdes du cacao, bénéfiques pour la santé, mais également d’autres nutriments qu’il est recommandé de consommer en moins grande quantité.

    Il existe également un autre paramètre, peut-être encore plus important, à prendre en compte concernant ces travaux scientifiques : la plupart ont recours soit à des cobayes tels que des rats, soit à des expériences in vitro sur des lots isolés de cellules humaines. Ce type d’études est utile pour donner aux chercheurs une idée des vertus et des mécanismes physiologiques de certains aliments, mais il n’existe aucune garantie que ces composants auront les mêmes effets sur les humains qui les consomment dans le cadre de leur régime alimentaire. Les recherches concernant les effets sur les humains sont complexes à mener : les régimes alimentaires, les gènes et les modes de vie varient d’une personne à l’autre, il est donc difficile d’étudier les effets des nutriments sur la santé. Cela signifie qu’une approche différente de celles employées pour les cultures cellulaires et les essais sur les animaux est nécessaire pour étudier les effets sur l’homme. Dans l’idéal, il conviendrait de combiner des études interventionnelles (au cours desquelles les chercheurs font varier le régime alimentaire afin de déterminer les effets d’un aliment ou d’un nutriment) et des études observationnelles (les chercheurs observent les effets des différences naturelles entre les régimes alimentaires des individus).

    Enfin, il convient de prendre en considération un dernier aspect lorsque l’on s’intéresse aux études sur les vertus des aliments en matière de santé : de nombreux chercheurs étudient ces aliments de manière isolée. Dans la mesure où, en temps normal, les individus consomment des combinaisons d’aliments, l’étude d’un seul d’entre eux ne peut refléter la consommation réelle. De plus, il existe des raisons de penser que dans certains cas, la co-consommation d’aliments peut en fait accroître la capacité du corps à absorber des nutriments. Le bêta-carotène présent dans les carottes et les épinards, par exemple, est absorbé plus rapidement lorsqu’il est consommé avec une source de matière grasse, comme la vinaigrette18. Cela laisse entrevoir les avantages d’un régime alimentaire basé sur une variété d’aliments nutritifs par rapport à une alimentation basée uniquement sur un ou quelques superaliments.

    L’essentiel

    Le concept d’aliments dotés de propriétés exceptionnellement bénéfiques pour la santé est une idée séduisante, et a certainement contribué à l’intérêt du public pour les superaliments. En effet, les recherches sur le sujet ont montré que certains composants d’aliments et de boissons peuvent nous faire beaucoup de bien. Cela est également illustré par l’existence d’allégations de santé approuvées, pour lesquelles l’Autorité européenne de sécurité des aliments a considéré les données scientifiques suffisamment probantes19. Il n’est cependant guère réaliste de penser qu’un petit nombre de « superaliments» va améliorer notre bien-être de manière significative. Lorsque l’on se penche sur les résultats scientifiques concernant les superaliments, il convient de rester réaliste sur la façon dont ils s’appliquent aux régimes alimentaires réels.

    Apposer à certains aliments l’étiquette « super » dans les médias peut également donner l’impression que les autres aliments constituant notre régime alimentaire ne sont pas aussi bons pour la santé, alors qu’en réalité ils fournissent souvent des nutriments tout aussi bénéfiques que ceux présents dans les superaliments. Les carottes, les pommes et les oignons, par exemple, contiennent énormément de nutriments bons pour la santé tels que le bêta-carotène, les fibres et la quercétine, un flavonoïde20. Les féculents à base de céréales complètes comme le pain, de même que le riz et les pâtes ont également une teneur élevée en fibres alimentaires. Chez les adultes, la consommation de fibres alimentaires devrait atteindre au moins 25 g par jour21. Ces aliments ont souvent l’avantage supplémentaire d’être bon marché et aisément disponibles. Cela signifie que nous pouvons facilement les consommer en quantités suffisantes et de manière régulière, afin de tirer le meilleur parti de leur contenu nutritionnel. Sachant que la plupart des Européens ne consomment pas assez de fruits et légumes pour satisfaire aux recommandations alimentaires, augmenter notre consommation quotidienne de fruits et légumes variés contribuerait notablement à améliorer notre bien-être22.

    Conclusion

    Pour assurer une consommation équilibrée de nutriments nécessaires à une bonne santé, il est plus efficace de diversifier les aliments de notre régime alimentaire que de nous concentrer sur quelques aliments dits « super ». Ce qui implique notamment la consommation d’une plus grande quantité et d’une plus grande variété de fruits et légumes. Pour nous aider à atteindre cet objectif, de nombreux pays européens ont d’ailleurs publié des recommandations nutritionnelles23.

    References

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    2. The Gleaner (1915). Kingston, Jamaica, 24 June 18/2.
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    17. Goldberg RJ & Katz J. (2007). A meta-analysis of the analgesic effects of omega-3 polyunsaturated fatty acid supplementation for inflammatory joint pain. Pain 129(1–2):210–23.
    18. Brown MJ et al. (2004). Carotenoid bioavailability is higher from salads ingested with full-fat than with fat-reduced salad dressings as measured with electrochemical detection. Am J Clin Nutr 80:396–403.
    19. EU Register on nutrition and health claims. 
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    22. EUFIC Review (2012). Fruit and vegetable consumption in Europe – do Europeans get enough? 
    23. EUFIC Review (2009). Food-based dietary guidelines in Europe.

    Les références

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